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mercredi 15 mai 2013

Autonomie de la poésie


Les problèmes de survie du Printemps des Poètes (voir les résumés ici ou bien là) ont mis à jour ces derniers mois des questions de fond touchant au rapport que nos sociétés entretiennent avec l'art, et singulièrement avec la poésie et donc avec leur propre essence. 
Plus on analyse ces questions, plus s'impose la nécessité d'affirmer l'autonomie de la poésie en tant que secteur distinct.

Posé clairement, ce principe entraîne diverses conséquences au regard de la création, de la diffusion et de la distribution de la poésie en France. 
Disons-le net : aujourd'hui, ce souci est d'ordre politique. Cela oblige à ouvrir les volets de la tour d'ivoire où l'on croit enfermés les poètes et à lancer l'oeil hors de la tour de feu. 

© Médiathèque départementale de Seine-et-Marne.

Ni littérature...

Ce n'est pas parce qu'elle s'écrit dans des livres que la poésie doit être enfermée dans la vaste maison de la littérature. D'ailleurs les bons libraires ont un vrai rayon poésie, une large fenêtre, et ce n'est pas seulement par habitude ou par amour des catégories d'Aristote. C'est qu'en commerçants avisés, ils sont à l'écoute du Lecteur. Or pour s'y retrouver dans la profusion de l'offre et de ses désirs touffus, le Lecteur a besoin de repères.

Même s'il est parfois maigre, la seule existence d'un rayon poésie est la preuve en acte de la résistance vitaliste de ce secteur. C'est aussi le meilleur moyen d'en assurer l'extension naturelle car on découvre souvent un nouvel auteur par un naturel voisinage de rayonnage ? On cherche les "Histoires" de Prévert et on ouvre les "Fragments du choeur" de Marcelin Pleynet, par la simple grâce de l'alphabet. La bonne nouvelle pour les vivants, c'est que dès qu'un rayon poésie existe, il est rare que ne s'y cachent quelques poètes contemporains.

Ni spectacle...

De même, ce n'est pas parce que la poésie peut être lue en public, voire mise en scène, qu'elle doit être engloutie dans l'ample espace du spectacle, non plus que dans le champs du théâtre qui lui aussi a droit à son aire spécifique. Bien sûr Shakespeare est un poète et pas seulement dans ses Sonnets ou dans ses poèmes épiques ou lyriques, bien sûr Jean-Pierre Verheggen dit par Jacques Bonnaffé est délectable aux oreilles mais une mise en scène n'est que l'une des multiples interprétations qu'ouvre la densité d'imaginaire d'un poème. Il n'est pas nécessaire de "monter" Anabase de Saint-John Perse ou Poèmes de la presqu'île de Michel Deguy pour les goûter. Le livre se suffit. 

C'est pourquoi, de même que l'endroit où l'on voit des films s'appelle un cinéma, il faut des lieux spécifiques dont le nom soit Maison de la poésie ou Maison de poésie. Ceci afin que chacun s'y retrouve, à commencer par le public. On peut, si l'on est facétieux, parler de Cabane de poésie mais l'idée d'une demeure attachée à ce genre doit s'imposer. Là encore, c'est une question d'affirmation. Sans tomber dans un forme de nominalisme, on sait à quel point le mot crée la chose. Et justement Marcelin Pleynet dans "Fragments du choeur, vers et proses" (p. 97, éd. L'infini / Denoël 1984) affirme : 
"Du nom des choses, de la mission baptismale de la pensée." 

Parlons chiffres clairs

Cette autonomie du secteur de la poésie est singulièrement nécessaire dans les outils permettant de mesurer sa présence.
Il est assez peu efficace, et donc compréhensible, voire acceptable, que certains chiffres émanant des structures professionnelles mêlent indistinctement théâtre et poésie au motif que les volumes étant faibles cela aurait peu de sens de les dissocier. Bien au contraire !

Il y a dans cette pratique une courte logique comptable. Elle est bien compréhensible si l'on ne s'intéresse qu'aux quantités et donc aux plus gros volumes, mais c'est une aporie et même une absurdité dès lors que l'on prend en compte la valeur immatérielle, le capital incommensurable, la qualité.
En passant, et afin de ne pas se laisser enfermer dans un faux débat sur la qualité qui, pour ceux que cela arrange, serait toujours "discutable" ou "subjective", posons immédiatement avec force que non ! la qualité d'un Apollinaire n'est pas comparable avec celle d'un livre de cuisine. C'est comme ça.

Le mélange fréquent des chiffres de diffusion des secteurs de la poésie et du théâtre - ainsi stigmatisés ipso facto comme des sous-secteurs - rend ces données non seulement vides de sens mais inexploitables et donc inutiles. Surtout quand on passe de l'analyse statique à l'étude dynamique. Comment mesurer l'évolution d'un secteur avec des chiffres globalisant deux secteurs ?
D'autre part, comment évaluer l'efficacité de telle ou telle action spécifique ? Comment savoir si une initiative pour mettre en avant une nouvelle variété de poires a été efficace si on ne dispose que du chiffre global poires + pommes ? Absurde...

Tout ce qui est dit ici nous semble d'ailleurs vrai aussi pour l'autre partie du "couple" théâtre/poésie. Tous deux devraient joindre leurs efforts pour que cesse cette mauvaise pratique. Le théâtre, lui aussi, ne peut que souffrir de cet amalgame. 

Pour toutes ces raisons de simple bon sens, la commission "Etat des lieux / Chiffres" de l'Union des Poètes et Cie s'est attachée à ce point prioritaire dès la création de l'association en décembre 2012. Sans données détaillées, on ne peut trouver dans les chiffres aucune aide sérieuse, aucun outil de décision et les bonnes volontés sont condamnées à tourner en rond en répétant indéfiniment un discours de lamentation inutile et démotivant comme dans un film de Guy Debord : 
"In girum imus nocte et consumimur igni."
(Nous tournons en rond dans la nuit et nous consumons dans les flammes)
Ces derniers mois de travail de défrichage, de prises de contact, d'organisation, de construction des questions ne nous font espérer aucun miracle, quoi que.... 

Tout comme l'avait fait Bruno Grégoire dans son ouvrage "Poésies aujourd'hui" publié en 1990 chez Seghers, il est toujours utile de ratisser régulièrement la plage après la marée, d'ouvrir les mains et de regarder ce que l'on a dedans. Ne serait-ce que pour ensuite fourbir les armes de la poésie

                                                                               Dominique Guillerm
                        

Nota bene : Ce texte n'engage pas l'Union des Poètes et Cie. Il a pour seul objectif de nourrir les réflexions collectives en cours. Réflexions que nous poursuivrons lors de la 3e réunion plénière du vendredi 7 Juin 2013 de 19h à 20h30 à la Salle des Expositions (1er étage) de la Mairie du 2ème ardt, 8, rue de la Banque, 75002 Paris. 
Ordre du jour complet consultable sur la page Facebook de l'associationEn voici un extrait : 
  • Synthèse des actions réalisées
  • Présence au Marché de la poésie
  • Intervention à la Maison de la poésie 
  • Synthèse des travaux des commissions
  • Échanges sur le projet : Le livre pratique du poète
  • Les conditions de l’édition poétique : vers un contrat type ?
  • Conditions de l’édition numérique
  • Conditions pour les interventions et animations poétiques
  • Actions à envisager...

1 commentaire:

Vallier Noël a dit…

Amis (es) de la poésie .... bonsoir !!
C'était en substance l'alerte intellectuelle de quelques-unes de nos soirées tardives ( déjà ) dédiées à la poésie sur les programmes TV des années 60 et 70 .
On pouvait fuir ces programmes tant le propos était empesé , suffisant , et pour tout dire assez ridicule .
Cependant la poésie avait son créneau , résolument démarqué de la multitude des genres et rendu à lui-même , totalement inaudible .
Il convient donc d'analyser ces précédents avant que de quémander d'autres et de nouvelles (??) émancipations .
La poésie d'aujourd'hui se doit d'être dynamique et du reste pourrait-elle survivre après ces manies de toujours vouloir et encore dénombrer les pétales , s'ébaudir à la vue d'un monumental arc-en-ciel et s'apitoyer sur toutes les misères du monde ....
Le public parlons-en il est définitivement absent , et on peut le comprendre , pourquoi diable viendrait-il en effet se pulvériser les méninges à force de s'employer à décrypter les facéties ou les fumisteries subjectives de quelques fieffés auteurs .
A trop vouloir compliquer la versification l'auteur improbable cache ses propres indigences , ses propres misères et cette manière de dire fait florès .
Je parlais d'une poésie dynamique , on pourrait attendre d'elle qu'elle soit aussi spirituelle et elle pourrait tout aussi bien respecter l'académisme requis .
Le domaine de la poésie réunit-il à ce point une communauté tellement solidaire , tellement soudée que ses vertus méritent tant de considérations et de louanges ??
Rien n'est moins sûr .
Il suffit en effet de lire ici et là les commentaires crétins de quelques allumeurs de mots (version maternelle) au premier emballement déconventionné d'une strophe concurrente , et de sombrer aussitôt dans un amusant désespoir.

Noël Vallier .