La "Une" de Libération du mardi 2 avril 2013 |
La poésie est-elle en train de se dévêtir dans la perception des media de son vieux manteau de passéisme un peu ringard ?
Cette fois, ce n'est plus nous - forcément suspects de partialité vu le titre de notre blog - qui le disons, c'est Libé, le nécessaire porte-voix des rebelles, des héritiers de Mai 68, d'Actuel et des Inrockuptibles, l'arbitre des élégances toujours en avance, le media fureteur qui a dans ses gênes le sens du contre-courant avant-gardiste... Pléonasmes ? tant pis.
"Le monde n'est plus digne de la poésie". Libération l'écrit en toutes lettres, et en fait le gros titre de sa "Une". Plus qu'un titre, c'est un splendide vers de poète contemporain de toutes les époques... Quoi qu'on en dise avant de l'avoir lu, Houellebecq est poète, physiquement, il écrit et publie de la poésie. Et depuis longtemps. Avec sa tête, avec ses rêves souvent gris, avec ses mains et avec du papier.
Ceux qui l'avaient entendu il y a peu de semaines, le 6 janvier exactement, sur France Culture dans la belle émission de Sophie Nauleau "Ca rime à quoi" le savaient. Mais ceux qui n'ont pas suivi tous les méandres de la carrière souvent bruyante de cet écrivain qui a commencé par la poésie et ne cesse de la pratiquer, sauf lorsqu'il écrit des romans, pourront y voir une sorte d'aveu stupéfiant, de révélation, de coming out comme on dit en français assiégé d'aujourd'hui.
Derrière cette "Une" claironnante, porte-drapeau manifeste pas vraiment à l'avantage du monde, s'égrènent quatre (oui 4 !) pages où la timide se voit tresser des guirlandes de pampres et d'acacia, un triomphe avec couronnes de laurier et gloires de béatitudes en étendard. Guère habituée, la poésie ne sait plus où se mettre; le soir elle doit encore chercher une violette où se cacher.
Le vers de la "Une" prend d'ailleurs un autre relief lorsqu'il est lu dans le fil de l'interview de Sylvain Bourmeau qui ouvre ces pages : "Je pourrais (...) dire - sèchement - que le monde n'est plus digne de la poésie. Si l'on veut être optimiste, on peut penser que le temps du roman n'est pas terminé. (...) ça ménage l'idée d'un retour à des temps plus favorables pour la poésie."
Douceur agréable à l'œil que ces paragraphes où Houellebecq dit comment il aime Verlaine, Apollinaire et Aragon. Et les cite avec une gourmandise de vieil habitué : "Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux formes ont tout à l'heure passé." Dommage quand même que de son propre aveu il s'arrête à Mallarmé et Apollinaire, avec une exception pour Aragon.
Populaire ?
Avec dans ce numéro de Libé un total de quatre articles, dont deux d'Eric Loret s'attachent davantage au style et à l'inspiration de l'auteur, il importe aussi de signaler une ébauche d'hypothèse de prophétie, hasardée sous la plume de Nicolas Demorand : "(la poésie) cet usage si particulier de la langue peut redevenir populaire. Populaire au beau sens du terme. Populaire si l'on ose s'en saisir la plume à la main, sans avoir peur ou honte de mettre son coeur à nu." (On peut lire la suite dans l'éditorial ci-dessous).
Dans son édito, Nicolas Demorand rend aussi hommage à l'école, au Livre de Poche, aux vers appris par coeur... |