Une sorte de discussion était née autour du thème que le Printemps des Poètes s'était choisi pour 2015 : l'insurrection poétique.
Précisons d'emblée que ce choix avait été arrêté dix mois plus tôt et ne devait donc rien à l'actualité sanglante qui nous a tous rendus Charlie.
Mais cette maudite actualité a le funeste d'infléchir la lecture et, partant, la compréhension que nous avons du monde et même des mots (un comble !), ce qui entretient une terrible et permanente source d'erreur. D'où pas mal de confusions.
Ainsi, alors que l'on célébrait en mars dernier l'insurrection poétique
comme une fin en soi, il
est fécond de se rapporter par exemple à l'œuvre mais aussi à la vie de la grande poétesse russe Anna Akhmatova (1889-1966).
Et tout d’abord, plutôt que d’affirmer de haut à quel point
elle est grande, voici un seul vers d'elle qui espère en convaincre.
Evoquant Modigliani, elle écrivait :
« Il m’avait l’air enserré dans un cercle de solitude. »
Chez elle comme chez Modigliani, il y avait de l'insurrection poétique. Tout autant que chez les symbolistes mais bien différemment.
Dans cette affaire, il est nécessaire d'éclairer un risque : celui que l'insurrection occultât la poésie. A plusieurs reprise Jean-Pierre Siméon l'a relevé, mais qui écoute réellement les poètes ?
Cette confusion est l'une des obsessions de Michel Deguy : distinguer le poétique de la poésie. Justifiée obsession.
L'autre insurrection, la politique, celle qui n'a même pas besoin de qualificatif, Anna Akhmatova la connaît aussi. Elle avait 20 ans en 1919. Mais cela ne l'a pas empêchée de rester poète. La facette politique de son insurrection fut de rester. Quand d'autres émigraient pour échapper aux persécutions du pouvoir elle, simplement, restait.
De ces dérives de l'esprit qui va trop vite et confond politique et poésie on peut, si on le veut, se prémunir.
Comment ?
Par exemple, aussi, en lisant avec ses propres yeux le recueil d'Henri Deluy : "Imprévisible passé", Préface de Christian Prigent, éd. Le Temps Des Cerises, 2012. Voir notule plus bas (1).
Et en découvrant, avant cela, l'excellent article d'Yves Boudier sur le site de Pierre Le Pilouër, Sitaudis.
Cela étant fait, on aura sûrement une appréhension différente de toute cette affaire d'insurrection poétique.
(1) Imprévisible passé, la formule s'impose à Moscou au cours des années 1980. Elle désigne, dans la relative clarté d'une perestroïka vacillante, l'histoire rétrospective d'un stalinisme tentaculaire et sanglant. Ce qui, pour nombre d'entre nous, ne pouvait se croire, se penser, s'imaginer, et qui se découvrait dans les archives enfin ouvertes, dans les déclarations des victimes enfin entendues, dans les gestes enfin permis d'une vie quotidienne en mouvement.
On trouvera ici les pages écrites au cours de nombreux voyages et séjours en URSS, en Chine et en Europe centrale; la beauté des paysages, les étapes du Transsibérien, le goût des nourritures, le borchtch, les malossols, le poulet à l'huître, la richesse des découvertes et des rencontres, le tragique des situations. Avec des traductions de poèmes de Marina Tsvétaïéva, Anna Akhmatova, Alexander Blok, Ossip Mandelstam, Vladimir Maïakovski.