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Ce blog est le petit frère de notre site disparu et un peu reconstitué ici.

mardi 31 décembre 2013

2014 ou la défaite du mal

En 2014, tout va bien. Inutile de multiplier les voeux... Dans la réalité, n'est-ce pas, le Bien gagne toujours. Contrairement à une forte idée reçue, ce n'est pas le Mal qui l'emporte à la fin...


Bain de minuit pour les ours de la banquise 
qui se réjouissent de l'arrivée de 2014. 
Constater, comme nous osons fièrement le faire ici, l'empire du Bien sur le Mal n'est pas naïveté. Ce n'est pas non plus prophétie une auto-réalisatrice; c'est seulement le constat de l'Histoire. 

Il faut se rendre à l'évidence. Ce n'est pas le mal qui sort vainqueur de la lutte éternelle. On en a quelques preuves.

D'abord, s'il en était autrement l'humanité ne serait plus là pour en parler; elle se serait détruite depuis longtemps. Les stocks de bombes nucléaires disséminés ici et là depuis des dizaines d'années y suffisent largement. 

Or, nous sommes toujours là. Est-ce l'équilibre de la terreur qu'il faut louer pour cela ? Est-ce un dieu bienfaisant et très oecuménique ? Ou bien est-ce une loi sociologique internationale, ou plutôt interculturelle, voire anthropologique, selon laquelle le pire serait sans cesse rejeté dans le tiroir des options dont on ne se sert pas. 
Mais rejeté par qui ? Y aurait-il ici un équivalent de la fameuse main invisible dont parlait l'économiste écossais Adam Smith en 1756, ce mécanisme naturel d'auto-régulation des marchés agissant non pas malgré mais du fait de l'égoïsme des hommes ("Recherche sur les causes et la nature de la richesse des nations") ?

En tout cas, nous avons survécu à la guerre froide, mais aussi à la fin de l'histoire, à l'an 2000, à l'apocalypse Maya pourtant prévue pour décembre 2012. Nous avions même survécu avant cela au passage à l'Euro... C'est dire si la volonté de survie de l'espèce est forte. Ou simplement la Volonté au sens de Schopenhauer. 

Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut point entendre

Bien sûr, on va nous accuser de courte vue et de courte mémoire. On va nous objecter que nous oublions les tyrans, les génocides, les pandémies, les horreurs de toutes les guerres du passé et du présent (Syrie, Tibet, Soudan, Haïti, Afriques...). 

Mais au contraire nos yeux voient plus loin que ce que l'Histoire sélectionne à un moment donné comme formant le tout du réel. On déplace le cadre et apparaît le mensonge structurel. 

Si le mal était le vrai vainqueur à long terme, la Terre serait totalement couverte de dictatures.
Si le mal primait toujours, les valeurs maléfiques seraient portées au pinacle.
Si le mal était primus inter pares, les oeuvres de Sade seraient étudiées à l'école. 
Et les fleurs du mal seraient en bouquets à offrir comme modèle social absolu.

Mais non, la plupart des hommes luttent contre le mal et, en tout cas, personne ne s'en réclame. Au contraire, chacun prétend à la vertu et affirme vouloir le bien de tous, même quand c'est pour affermir ses propres intérêts. 

Comment se fait-il ? 

Ou plutôt, comment avons-nous réussi cela ? Car c'est un effort collectif que ce travail d'évitement permanent, de réparation obstiné, de patiente résilience. C'est une oeuvre longue de prudence, d'élévation des vues, d'accordage des sensibilités et d'harmonisation des désaccords.

Le philosophe écossais David Hume a été un des premiers à exprimer cette idée, maintenant largement partagée en sciences sociales, que les gens pensent souvent être en désaccord alors que leurs opinions sont simplement complémentaires. 

Ce constat devrait être répété ad libitum dans les écoles de la République, mais aussi dans les écoles du Commerce, dans les universités, dans les écoles religieuses, et surtout dans les médias et sur chaque page d'accueil de tous les moteurs de recherche d'internet : on croit être en désaccord quand nos opinions sont simplement complémentaires...

Dans son "Essai sur la règle du goût" (“Of the standard of taste” de 1742), Hume donne en exemple un épisode savoureux tiré du Don Quichotte de Cervantes, l'histoire des deux oenologues : ils avaient tous deux raison bien que leur jugements fussent différents (cf. texte lisible via le lien David Hume, “Essai sur la norme du goût”).


Et dans tout cela la poésie ? 



Claude Lévi-Strauss développe une idée voisine - mais antonyme - dans "Race et histoire", un court essai de 1952. Pour lui, est barbare celui qui justement parle de barbarie, celui qui y croit. Il retrouve ainsi cette vieille vérité : ne pas nommer le mauvais est un moyen simple et efficace de ne pas l'aider à exister. 

Alors si croire influe sur ce qui est, croyons que 2014 est une très bonne année. 


En 2014, les politiques qui ont inconsidérément réduit les moyens de subsistance du Printemps des poètes vont donc se réveiller de leur sommeil dogmatique (comme Kant après avoir lu Hume justement...), nous sortir de notre mauvais rêve et rendre à l'association ce qu'ils lui ont pris, c'est-à-dire un budget de fonctionnement décent.
 Ce sera une bonne année. Vous verrez, déjà en 2011, nous avions prédit ce qui est maintenant devenu un beau passé (à lire ici pour les incrédules).  

Merci enfin à Pierre Vavasseur d'avoir, dès le premier jour de cette belle année, lancé la même demande sur les ondes de France Inter (écouter ici)


AxoDom

NB : La triste photo qui l'illustre n'a bien sûr aucun rapport avec cet article joyeux. Les ours polaires vont attendre la fin de 2014 pour savoir s'ils doivent se réjouir. 

mardi 17 décembre 2013

Braque, chaos, Deleuze, art

En sortant de l’exposition Georges Braque au Grand Palais, on pense à tout ça : le cadre, l’art, le chaos, le concept de révolution, la NSA et la poésie aujourd’hui.  


Braque et ses oiseaux, à la fin.

Le 3e festival O+o de Paris auquel nous avons collaboré et participé en septembre dernier avait pour thème "Sortir du cadre". 

Bien des thèmes de festival ne sont que prétextes à lancer une machine à créer. Et c'est déjà bien. Ce fut le cas ici mais certaines formules ont comme une vie autonome et nous poursuivent.

Cette histoire de "cadre" dont il était question de "sortir" n'avait pas, pour nous, dit tout ce qu'elle avait à dire. Comme si, après avoir sauté hors du cadre comme un cabri on n'était pas à nouveau dans un cadre ? Voire même le même... Comme si les avant-gardes n'étaient pas les prochaines institutions... Comme si on pouvait encore croire à l'efficacité du concept de révolution comme apportant du progrès à l'humanité... Comme si nulle tradition n'avait de valeur.

Ainsi Georges Braque, qui s'est obsédé de cette question jusqu'à torturer des billards, n'a réussi à sortir du cadre qu'au tout début de son travail, avec ses paysages fauves, et à la toute fin de sa vie avec ses oiseaux comme ci-dessus, c'est-à-dire dans ses moments de plus grande innocence.

En y repensant, on revoyait toute l'intelligence de l'affiche créée par Philippe Mairesse pour le festival O+o de Paris 2013 (visible ici). 

Et puis le hasard qui régit pour moitié nos vies, et donc le contenu de nos ordinateurs, fit resurgir le texte suivant, trouvé sur le Flotoir de Florence Trocmé, la tenace fondatrice du site Poezibao, à propos du dernier essai d'Ariane Dreyfus,  (La Lampe allumée si souvent dans l'ombreÉd. Corti, 2013).
Art et chaos (Deleuze, via A. Dreyfus)  Page 103, l'admirable citation de Deleuze sur l'art et le chaos. Elle me fait comprendre tant de choses : « L’art prend un morceau du chaos dans un cadre, pour former un chaos composé qui devient sensible ». Ariane la glose écrivant : « le cadre n’est donc pas seulement ce qui met en forme [...] mais aussi ce qui dialogue avec l’invisible. L’image vibre par cette tension entre champ et hors-champ, dit et non-dit » → et c’est une des grandes problématiques de la composition du poème, ce qui doit entrer dans le cadre, ce qui doit en sortir, et cet incessant travail de menuiserie (Emaz) et de soustraction dont parlent les écrivains. (...)
Toute révérence gardée, on peut tout-à-fait amender cette proposition de Deleuze, en ce qu'elle est une représentation, la sienne, une représentation de philosophe. «L’art prend un morceau du chaos dans un cadre, pour former un chaos composé qui devient sensible» dit-il. On peut avoir une autre vision : 
  • L'art est le résultat de ce que fait l'artiste, lequel sait rarement ce qu'il fait avant de l'avoir fait. 
  • Si "le travail de la philosophie consiste à fabriquer des concept pour tenter de comprendre ce qui se passe", selon la formule de Bruno Latour qui nous va bien, le travail de l'artiste, pour nous, consiste à plonger en lui-même toujours et encore à la recherche de la joie et de l'intuition (cf. Proust, Bergson...). 
  • La "question du cadre" est alors toujours secondaire. En tout cas, n'intervenant jamais consciemment, on peut soutenir qu'elle n'a pas d'incidence. 
  • Quant à un éventuel impact inconscient, hum... qu'en savons-nous ? 
Bien sûr, après un siècle de modernité, un long chemin est à parcourir pour sortir de tous les systèmes, de tous les -ismes et arracher toutes les oeillères.

Voilà ce qui serait "sortir du cadre". Et ça, la NSA n'y peut absolument rien ! Ses ordinateurs pourront toujours nous scruter plus attentivement, ils ne lui expliqueront jamais ce type de secret qui sort tout armé de la poésie comme Athena du cerveau de Jupiter. 

AxoDom


lundi 2 décembre 2013

De plus en plus d'écume...

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=502426469849470&l=d1bb30ff50

De plus en plus de bruit, d'écume, d'information,
de petites perceptions, de sons, d'images, de sollicitation,
d'appels à réagir, à signer des pétitions,
à manifester, à s'exprimer, à crier

mais si rarement à rire
à sourire
à respirer
à fermer les yeux et sentir
à voir le bon, le bien
le rigoureux calme serein.

Toujours aller se multiplier,
courir sus à l'ubiquité,
développer vite toutes ses difficultés,
ne pas perdre une minute à se lier.

Oublier la "brevedad de la vida"
qui pourtant nous pend aux sonnets de Quevedo
qui a si bien chansonné les vers de Sénèque
qui a tout dit dans sa vieille langue d'évêque :
"Ayez surtout le souci de séparer les choses du bruit qu'elles font."
Et pour cela quel meilleur marché avec le monde passer
que la poésie qu'on devrait trouver sur tous les bons marchés,
à l'étalage.