Ceci n'est pas une critique de disque ou de spectacle. Enfin, pas vraiment. C'est un rien, dirait Proust, une rêverie...
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La « Vaga Luna » de Silvia Malagugini enchante.
Le spectacle, comme le disque, est profond et poétique. |
Si les mots n’étaient traîtres, on dirait que ce disque mêle musique savante et traditionnelle. Mais si c’est pour perdre la moitié des lecteurs dès les premiers mots, alors ce n’est pas la peine de dire la vérité.
Commençons plutôt par une rêverie. Celle dans laquelle ce spectacle puis ce disque nous ont plongés et longtemps laissés...
Voici les chants d’une autre Italie !
Pas celle de la télévision bénie
par Berlusconi et les Benetton’boys
pas même celle de l’opera seria
pas celle des couchers de soleil en rose
mais celle du cœur d'un ancien lit…
Quella del cuore di un antico letto…
Celle d’un passé de brume magnificent
dont l’art est le faste, la pompe et la richesse
celle qui, à des oreilles françaises, instille cette suave nostalgie
qui passe par le coussinet de douceur caché sous le pavillon.
Imaginez un moelleux divan minuscule, tapi là
où l’on s’étend comme chez Baudelaire où :
« Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds, comme des tombeaux »
Vaga Luna, le disque
C’est sûrement sur un tel divan qu’une amoureuse alanguie chante à la lune cet air de Bellini, « Vaga Luna », par où commence le disque : « Lune vague (...) Dis-lui que du matin au soir je compte les heures de ma douleur ».
Cet air est immédiatement suivi d’un traditionnel d’Emilie Romagne « O Mama mia marideme » où les envies de mariage de la jeune fille, vainement rabattues par la sagesse de la mère (« ma fille, la femme mariée est une vraie prisonnière ! »), voient triompher l’éternel immoralisme hilare et dionysiaque de la jeunesse (« si mes enfants pleurent, je les chasserai du lit et je serai heureuse avec mon mari ! »). Cet arrangement simplissime avec la seule guitare de Maurizio RINALDI, est un tube !!!
N’ayons pas peur des mots - après tout ils sont à notre service pour exprimer nos sentiments, non ? Pourquoi, c’est un tube ? Parce qu’après deux écoutes, il ne vous lâche plus pendant trois jours. C’est…
La joyeuse ritournelle qui s’ancre
au pli de la mémoire inconsciente,
celle qui chantonne cet air en vous à toute
heure et ne veut plus s’en aller du tout.
Puis, on passe à un dur chant de travailleur du Lazio (SO STAT’A LAORA’) qui est de toutes les époques, avant que Girolamo Frescobaldi, grand patron de l’orgue de la basilique St Pierre pendant toute la première moitié du XVIIe siècle, nous balade sur une histoire de rose toute joyeuse au printemps (SE L’AURA SPIRA).
On recule ensuite jusqu’au XIIIe siècle, avec ce poignant VOI CHE AMATE (Laudario di Cortona) où "Marie au cœur triste, qui a pour fils le Christ" voit ses cheveux "tressés de sang écarlate, qui coule jusqu’à la bouche". Indépendamment de toute croyance, c’est bouleversant.
Là, on a le droit de penser à Jean Chuzeville qui a écrit : « La poésie d’un peuple est sans doute la révélation la plus complète, à la fois personnelle et commune, de sa manière de sentir. » (Anthologie de la poésie italienne, Ed. d’Histoire et d’Art/Plon, 1959).
Vient alors un cinglant message post-mortem de qui n’est plus à celui qui lui a refusé son aide de son vivant (NON T’ACCOSTARE ALL’URNA (de I. Vittorelli - G.Verdi, XIXe siècle). Et puis, c’est LAURETTA, un chant traditionnel de Lombardie, le deuxième tube de cette galette magique.
On pourrait continuer à égrener ces 18 morceaux, traditionnels légers ou graves, de Toscane, de Sicile, des Abruzzes… ces airs de Scarlatti, de Verdi, de Haendel… l’ensemble trouvant son unité dans le son pur et la maitrise calme du guitariste et les entrechats vocaux de la chanteuse.
En pourpres douceur de riches velours anciens
comme ces tapisseries de brocart des siècles révolus
où des Doges déchus continuent
de régenter jusqu’aux horloges.
Vaga Luna, sur scène
Divisé en thèmes distincts : Le deuil, La jeunesse emplie de promesses, L'orage amoureux, Les femmes se rebiffent… le spectacle développe d’autres charmes. Et d’abord celui de la belle complicité entre la Guitare et la Voix.
Les poings aux hanches, comme une jolie harengère distinguée haranguant le passant, la Voix créé l’espace par son souffle, son sourire, un mouvement de la hanche ou du poignet.
Parfois, dans le petit cadre noir de l’Espace Kiron à Paris où on l'a vue en octobre, les mains de la Voix jouent du lutrin, l’un des seuls accessoires présents dans cette mise en scène de Caterina Mattea, sobre et cohérente avec le propos. Puissante et multi-suggestive, telle est la voix de ce petit bout de femme brune en noir et rouge qui tourne autour des notes comme une abeille autour d’un rosier en plein été.
Selon que l’on comprend l’italien ou qu’on se contente d’en aimer la musique, on voit pêle-mêle soit ce que disent les chansons, soit des images de Giotto ou de Masaccio, des masques de Venise, des plans du bal du « guépard » de Visconti, des réminiscences de Dante, du Tasse…
Voilà, ce qui me reste de ces visions de Silvia. Sans doute hantées par les « Visions of Johana » de Bob Dylan :
Inside the museums, infinity goes up on trial
Dans les musées, l'infini passe en jugement
Voices echo this is what salvation must be like after a while
A la fin, le salut ne devrait être que l’écho des voix
But mona lisa musta had the highway blues
Mais Mona Lisa devait avoir le blues de la route
You can tell by the way she smiles
Il n’y a qu’à voir comment elle sourit. (...)
And these visions of Johanna are now all that remain.
Et ces visions de Johanna sont maintenant tout ce qui reste.
Et maintenant, en écrivant, mon âme déroule ici
les souvenirs de cette belle soirée
comme un fabriquant de tapis déroule réjoui
ses plus belles pièces pour le visiteur attiré
par le souvenir d’une couleur ou d’une douceur
sous les doigts, un soir où avec son amie ils avaient dormi
à même le sol de ce palais où ils s’étaient réfugiés
dans la notte du carnaval d’une ville d’Italie.
AxoDom Guillerm
Disque « Vaga Luna » de Silvia Malagugini & Maurizio Rinaldi (Buda Musique). Joli livret en italien, français, et anglais.
Une première version de ce texte a été d'abord publiée dans le N° 13 (décembre-Janvier 2012) de la revue Franco-Italienne FOCUS-IN et sur son site.